LE PRIX DU SANG
Un jeune homme est allongé dans l’herbe, les bras en croix, le torse noirci par le sang et par l’explosion qui a aussi déchiré ses vêtements. A la place de sa main droite, une plaie sanglante. Un garrot est placé sur son avant-bras. Un homme casqué, penché sur lui, lui tient le bras. Deux autres hommes en uniforme s’affairent également autour de lui. La main gantée d’un policier apparaît en bas du cadre. Le jeune homme a les yeux fermés, la bouche ouverte et visiblement il hurle. Une image de guerre pour une arme de guerre, cette fois-ci à Notre Dame des Landes. Il a été demandé sur les réseaux sociaux de ne pas diffuser l’image sans l’autorisation du jeune homme, même si bien des images circulent déjà dans nos réseaux venues de Gaza, de RDC, du Yémen, de Birmanie, etc. qui ne s’encombrent pas de telles précautions. Difficile de trancher entre le refus du voyeurisme et le besoin de témoigner. Car ici, comme ailleurs, il faut encore et toujours alerter sur les personnes tuées, mutilées, harcelées par la police et l’armée. {R. 30/5/18 Nantes}
LE FOULARD ET LA MANIÈRE
La présidente du syndicat étudiant UNEF Sorbonne, Mariam Pougetoux, a pris la parole dans les médias contre la loi ORE (de ségrégation sociale à l’entrée des universités) coiffée d’un foulard. Le monde politico-médiatique a réagi majoritairement de manière hostile au fait qu’une représentante syndicale porte un signe religieux. Le ministre de l’intérieur a parlé d’acte politique et évoqué l’organisation terroriste Daech. Charlie hebdo a sorti une couverture ordurière et déshumanisante. Les réactionnaires et les racistes de tous bords s’en sont donné à cœur joie, soufflant, pestant, crachant dans les médias. Quelques voix ont réagi et condamné cet acharnement. Mariam Pougetoux a réapparu pour indiquer qu’elle ne porte pas un foulard par prosélytisme polico-religieux mais par conviction personnelle. Suite à cet énième épisode de l’interminable saga française anti-foulard, rappelons quelques points :
Il est fâcheux qu’un ministre de l’intérieur ne soit pas capable de faire une nette différence entre Daech et le foulard d’une étudiante. Les premières victimes du terrorisme islamique sont les musulmanes elles-mêmes. Parmi les réfugiées, qui ont fui les groupes armés islamistes, de nombreuses femmes musulmanes portent un foulard. Elles sont absolument non violentes et ne considèrent pas leurs persécuteurs comme des musulmans mais des imposteurs mafieux. Ensuite, il est faux de dire que les femmes qui couvrent leurs cheveux sont nécessairement soumises. Elles peuvent choisir de le faire. Certaines y sont habituées et peuvent difficilement s’en passer sans avoir le sentiment d’être en sous vêtement dans la rue. Demander à ces femmes de se découvrir est aussi intrusif que de reprocher à une femme de ne pas porter de foulard. Marianne Pougetoux souhaite le porter et visiblement celles et ceux qui l’ont élue ne s’y opposent pas. La loi non plus d’ailleurs. Le contraire aurait été problématique. Pourquoi refuserait-on des responsabilités à une femme parce qu’elle porte un foulard ?
En ce qui concerne certain-e-s de mes camarades, je partage leur athéisme et critique avec elles et eux la religion. Mais nous pouvons débattre de cela sans mépris, surtout quand une longue histoire coloniale mine le débat. Le catholicisme et l’islam ne sont pas au même niveau en termes de tolérance dans la société française. Le dévoilement des musulmanes, en particulier, est inscrit dans l’histoire coloniale (http://contre-attaques.org/magazine/article/le-devoilement). {R. 30/5/18 Nantes}
TUERIES DE MASSE ET MAISONS DE L’HORREUR
Deux types de faits divers défraient la chronique américaine : les tueries de masse et les maisons de l’horreur. Ces phénomènes se répètent et avec eux certaines données sociologiques. Je pars du principe que le fait divers dépend d’un trait de civilisation qu’il révèle et donc se prête à une lecture politique et pas uniquement individuelle clinique, policière ou morale. En ce qui concerne les tueries dans les lycées, elles sont le fait de jeunes hommes blancs fascinés par la guerre et amers vis-à-vis des femmes dans plusieurs cas. On peut bien sûr incriminer la violence de la société américaine et le poids du lobby des armes. Mais il faudrait peut-être ajouter un modèle patriarcal prédateur et consumériste, où posséder c’est consommer. La destruction violente apparaît comme une réponse au refus et à la frustration. Ce que l’on n’a pas avec l’argent, on l’obtient avec des armes, quitte à mettre sa vie en jeu. Ici le mal être privé s’exprime dans la violence publique.
Le mouvement inverse s’illustre dans les maisons de l’horreur. La violence exercée par le père et les parents sur le reste de la famille reflète une violence extérieure. La maltraitance s’exerce au nom de principes moraux et de l’éducation. Dans les deux cas, on voit que l’expression narcissique du pouvoir, celui du jeune homme armé ou des parents sur leurs enfants, rend incapable d’empathie. On pourra donc exécuter ou enfermer ces criminels tant qu’on voudra, ces violences ne cesseront pas sans une remise en cause des rapports hiérarchiques. Ils subsistent de manière feutrée dans l’ensemble de la société et tendent toujours à révéler ici et là leur caractère ignoble dans les faits divers. {R. 30/5/18 Nantes}
LES BANLIEUES LIEUX BANNIS
Le plan Borloo prévoyait dix milliards d’euros pour améliorer les services publics et le tissu associatif dans les mille trois cent quartiers prioritaires français. Il était attendu par de nombreux maires. Macron l’a totalement enterré. Pas un sou. Par contre, mille trois cent policiers supplémentaires, pour lutter contre le trafic et la radicalisation, et des stages en entreprise. Autant dire que la situation n’est pas prête de s’arranger. Au lieu de s’appuyer sur les ressources associatives des quartiers, de s’attaquer à la cause, l’inégalité sociale, il s’attache aux effets surmédiatisés pour stigmatiser les banlieues. La violence plutôt que la concertation s’impose pour conserver la modèle inégalitaire et la politique de relégation. Pourquoi les trafics, si ce n’est l’impossibilité d’accéder à l’emploi ? Pourquoi la radicalisation, si ce n’est l’absence de reconnaissance et de respect ? Sans politique humaine, il n’y aura pas de solution humaine mais l’exacerbation des conflits. Qui y a intérêt ? Peut-être, après tout, les réactionnaires et les capitalistes, pour maintenir leurs privilèges. Car les habitant-e-s des banlieues elles et eux préféreraient vivre en paix s’ils et elles le pouvaient. {R. 30/5/18}
UN SUPER HEROS
Mamadou Gassama, exilé malien, a rencontré Macron, va pouvoir être régularisé et obtenir un travail. Pendant ce temps, des milliers d’autres personnes vivent dans des bidonvilles et dans la rue, sont évacuées, pourchassées, placées en rétention, meurent ou tentent de ne pas perdre espoir. Pourquoi une telle exception ? Parce que Mamadou Gassama a sauvé un enfant en escaladant un immeuble devant des caméras, ce qui fait de lui un héros.
Ce que révèle ce conte de fée est l’idéologie de notre société qui valorise l’exception, le mérite, à l’image du Stakhanov soviétique ou du self made man américain. L’hospitalité, comme la réussite sociale, ne s’applique donc qu’à l’être d’exception. La norme c’est la misère. L’exception, la vie impossible, est cette norme ; et ce qui serait normal, une vie décente, est l’exception. La structure du conte de fée est celle de la société injuste où la justice tient du miracle. Les réfugié-e-s n’ont-ils ou elles plus qu’à chercher des enfants à sauver pour vivre normalement ? Malheur à elles et eux si le sauvetage rate ou passe inaperçu.
On a vu différentes expressions du racisme autour de cet acte. La plus idiote évidemment vient de Madame Lepen qui alerte sur les risques de cambriolages liés à l’escalade. Plus insidieux, Philippe Labro compare dans CNews « Gassama » à un grand enfant, distingue l’acte irréfléchi du héros réfugié et la réflexion instantanée d’un Beltrame, et suppose que le civisme du réfugié est le fruit des souffrances qu’il a enduré. Macron lui, en régularisant exceptionnellement un homme, envoie un message de désespoir à toutes et tous les réfugié-e-s qui n’ont pour l’instant que leur propre vie à sauver. {R. 30/5/18 Nantes}