LE BLOC DU 1ER MAI

Publié le 12 Mai 2018

Nous ne cautionnons pas particulièrement ni ne condamnons les dégradations du premier mai à Paris. Nous refusons cette alternative et ce débat aussi vieux que l’activisme. Quant à la question Ça sert à quoi ?, elle peut être posée pour tout : émeute, élection, référendum, manif, grève, sabotage, tract, journaux. Aucune pratique ne se suffit à elle-même. Tout dépend des combinaisons, des situations et du hasard aussi. C’est une question stratégique et non scientifique. Le black bloc n’est pas une organisation mais une méthode employée par des gens qui s’organisent pour ne pas subir la répression.

Le black bloc nuit à la cause, dit-on. Mais la cause ne se nuit-elle pas déjà à elle-même ? Les manifestations familiales n’inquiètent pas le gouvernement, à moins qu’elles atteignent une dimension considérable. Elles fournissent en tout cas au gouvernement une caution démocratique, à la différence du black bloc qui révèle la répression.

Les puissants s’imaginent le peuple globalement outré par les dégradations. Mais la réaction est plus mitigée. De nombreuses personnes en ont assez de la violence policière et aussi économique et n’éprouvent pas de colère quand les vitres des banques se brisent. Peut-être même ressentent-elles un sentiment de revanche.

Le pouvoir est friand de divisions, comme manifestant vs casseur ou réfugié vs migrant, pour séparer le Bien du Mal. Nous lui renvoyons cette distinction : la violence et la force. Plutôt que d’opposer les forces de l’ordre aux violences des casseurs, nous appelons violence gouvernementale le bombardement, le tabassage, le gazage, l’arrestation, l’emprisonnement. La force populaire elle repose sur les techniques d’anonymat, de sabotage, de saccage, d’occupation etc. On veut faire passer pour de la violence gratuite la destruction des symboles capitalistes ou étatiques. Il y a évidemment des casseurs qui se plantent de cible comme il y a des gentils flics qui sauvent des bébés. Mais le problème n’est pas là. Ce qui importe c’est l’objectif qui structure l’action. Il s’agit de maintenir les privilèges d’un côté, de les contester de l’autre.

On ne fait pas de la politique en cassant, nous dit-on. Mais les vandales d’un jour ne passent pas leur temps à casser. En plus, ces donneurs et donneuses de leçon oublient que leur fameuse République s’est elle-même construite dans le rapport de force : Révolution française, Résistance contre Vichy, Mai 68 etc. Faire de la politique ne signifie pas uniquement parler dans un micro perché sur un camion.

Les casseurs n’ont pas de projet, dit-on. Mais personne, encore une fois, n’est uniquement casseur. L’émeute de toute façon n’est pas un projet mais une tactique, pas une fin mais un moyen. Aucune tactique n’assure un succès certain. Oui elle sert aussi la propagande d’état et la répression. Oui, elle est coûteuse et dangereuse. Mais elle peut accélérer les processus, donner de la visibilité, faire pression sur le pouvoir, susciter des vocations etc., quand elle n’exprime pas tout simplement la colère. Elle fait partie de ces choses incontrôlables dans les soubresauts de l’histoire.

On s’étonne de voir le bloc plus nombreux chaque année. Mais la violence du système, l’absence de perspective, l’esthétique et la mode insurrectionnaliste aussi, tout cela attise un courant spontanéiste. La vie c’est maintenant ! Prenons là, n’attendons plus la fin de la dette, de la crise, de l’austérité. Il ne faut ni sous-estimer ni idéaliser ce potentiel.

Concernant l’infiltration par la police ou l’extrême droite du bloc, il est difficile de séparer la réalité et la fiction. Ce qui est certain est que chacun tente de tirer la couverture à soi en fonction de ses intérêts. Le principal est le point de vue des concernés. Il s’agit de détruire des symboles de l’état ou du capitalisme ou de les dégrader. Pour les déçus du suffrage, du syndicalisme, de l’organisation et de la légalité, c’est une alternative à la résignation.

La casse est perçue comme un gâchis des impôts. Mais ça ne représente qu’une fraction infime, comparé à l’évasion ou la fraude fiscale, l’armement, les dépenses somptuaires ou bureaucratiques. C’est du même ordre que de dénoncer le coût des chômeurs ou des migrants. Cela repose sur une vision biaisée des mécanismes économiques et, avant tout, répond à la volonté de trouver des boucs émissaires, parmi les plus vulnérables, pour protéger les vrais exploiteurs. Enfin, comme avec les grèves et le sabotage, on sacrifie un peu de richesse sur le court terme pour des enjeux bien plus importants. Une vitre se remplace plus facilement qu’une loi.

R.